21/11/2025 chroniquepalestine.com  6min #296907

Séjour en Palestine occupée : témoignage


Photo : Françoise De Turckheim

Par  Françoise De Turckheim

Ayant passé une dizaine de jours fin septembre en Cisjordanie occupée, principalement dans un camp de réfugiés, je vous présente le retour des échanges que j'ai eu avec les Palestinien-es.

J'ai choisi cette fois-ci de venir en Palestine en passant par Amman. Le passage de frontière devait avoir lieu le mercredi 24 septembre au pont d'Allenby : hélas, plusieurs pays, dont la France s'étant prononcé pour la reconnaissance de l'état de Palestine lors de l'AG de l'ONU 2 jours avant, Israël a décidé de fermer ses frontières, et ce pour une durée indéterminée.

Ayant appris que la frontière du nord, située près d'Irbid en Jordanie, le pont Sheik Hussein s'ouvrait le jeudi, j'ai sauté sur l'occasion. Passage pénible et long mais j'ai réussi à rentrer, comme plusieurs internationaux, alors qu'Israël l'interdisait aux Palestinien-es qui souhaitaient rentrer chez eux-elles.

Occupation : les humiliations au quotidien

Les premières victimes sont les adolescents et jeunes adultes.

Dès le premier soir, un jeune homme de 20 ans, scolarisé à l'université d'Abu Dis, l'université d'Al Quds (Jérusalem) située à 30 km du camp de Deisheh, m'explique ses angoisses chaque jour où il se rend à l'université.

Il met souvent plus d'une heure pour y aller ; changement de taxis- et les humiliations- intimidations au checkpoint sont régulières, notamment quand il montre sa pièce d'identité qui précise qu'il vit dans un camp de réfugiés.

Parfois, les militaires israéliens vont même jusqu'à le frapper : y répondre, c'est s'exposer à des violences plus importantes... Il n'est pas non plus à l'abri dans l'université ou dans sa maison : les incursions de l'armée d'occupation y sont plus fréquentes depuis 2 ans, chaque semaine dans les camps, les militaires israéliens n'hésitant pas à rentrer dans l'université elle-même ou dans les maisons.


Photo : Françoise De Turckheim

Durant mon séjour, il y a eu 3 incursions militaires dans le camp et dans le quartier voisin.

J'apprendrais quelques jours plus tard que quand il avait 15 ans, son ami s'est fait tirer dessus à côté de lui. Du fait de ses angoisses, il se demande s'il va poursuivre ses études. Il a pourtant travaillé une année pour les financer.

Sa mère m'explique que la peur ne la quitte pas dès que son fils sort de la maison. En 2 ans, plus de 1000 Palestiniens ont été assassinés par les Israéliens, en grande majorité des adolescents ou jeunes adultes de sexe masculin. C'est le quotidien des familles palestiniennes.

Et pourtant, alors qu'il y a plusieurs universités à Bethléem, sa sœur, en dernière année de lycée exprime son souhait de s'inscrire dans la même université l'année prochaine : « pour voir enfin Jérusalem » : en effet, la plupart des Palestinien-es n'ont pas le droit d'aller à Jérusalem, situé à 10 km de Bethléem, mais de l'autre côté du mur, en Israël (« Palestine historique ») ; passage encore plus difficile depuis octobre 2023.

Il y avait près de 100 visas différents pour les Palestinien-es pour se rendre à Jérusalem : par exemple visa de travail- visa pour se soigner ou rendre visite à un proche hospitalisé- visa pour les étudiant-es- un jour par semaine ou 2-3...

Les jours d'ouverture des établissements scolaires sont variables : les écoles de l' URNWA sont ouvertes 5 jours par semaine : du dimanche au jeudi, les écoles chrétiennes sont fermées les samedi- dimanches, les universités sont fermées le jeudi- et quand les checkpoints sont bloqués !

Les écoles gérées par l'Autorité Palestinienne ne sont ouvertes que 3 jours par semaine - lundi, mardi et jeudi depuis 2 ans : faute de budget - seuls les lycéen-es de dernière année y vont 4 jours par semaine, du lundi au jeudi avant de passer l'équivalent du baccalauréat.

Pas facile de s'organiser quand les enfants d'une même famille sont dans des écoles différentes.

Occupation : les blocages au quotidien

Plus de  1000 checkpoints sont installés en Cisjordanie occupée : ils étaient au nombre de 930 en juillet dernier, près de 330 début 2023. Rien qu'à Bethléem, il y en a 37.

Le premier réflexe des Palestinien-es le matin est de regarder les boucles sur WhatsApp ou Telegram révélant quel checkpoint est ouvert ou fermé. Ce sont les Palestinien-es eux-mêmes qui les renseignent dès qu'iels se déplacent, ainsi, chacun-e modifie son parcours en fonction des informations.

Mais un checkpoint peut être fermé à tout moment, pour une durée indéterminée, selon le bon vouloir des militaires israéliens. Cette situation génère de longs bouchons sur les routes, épuisant les Palestinien-es, qui ne sont jamais sûr-es d'arriver à temps à leur travail, leur rendez-vous médical ou pour chercher leurs enfants.

L'un des objectifs est de tout faire pour bloquer l'activité économique et l'indépendance de « l'état » palestinien. Le tourisme a chuté depuis 2 ans : de nombreuses boutiques et hôtels ont fermés. Les ateliers de céramique - et de sculpture de santons ont vu la chute vertigineuse de leurs ventes à des touristes qui ne viennent plus.

Israël contrôle l'accès à l' eau des Palestiniens, dont les citernes disposées sur les toits des maisons, sont alimentées tous les 15 jours : alors que les Israélien-es, et en particulier les colons, ont une utilisation sans limite de l'eau, les Palestinien-es sont rationné-es.

J'ai rencontré un agronome qui souhaite développer l'agroécologie dans son pays : les Israéliens sont venus lui détruire un puits qu'il était en train d'installer dans une zone désertique.


Photo : Françoise De Turckheim

Comment les Israéliens ont-ils su qu'il installait ce puits ? l'autre aspect de l'occupation est l'espionnage, l'utilisation plus fréquente de drones pour contrôler les activités des Palestinien-es et la reconnaissance faciale installée dans de nombreux checkpoints.

Colonisation : un sentiment oppressant

Les colonies sont de plus en plus envahissantes- autour de Bethléem, elles sont visibles sur la plupart des sommets autour de la ville, l'encerclant, la prenant dans un véritable étau.

Une nouvelle colonie est apparue il y a quelques mois, pas très loin du camp où j'étais de passage : elle est constituée d'une seule maison, pour l'instant, mais rien ne nous dit que d'autres ne vont pas s'y rajouter dans les mois qui viennent...

La route qui va à Ramallah longe souvent le mur de séparation, parfois à droite, parfois à gauche, parfois des 2 côtés ; mur d'une hauteur de plusieurs mètres : oppressant-

Mais on peut aussi se poser la question de Qui est en prison : bien sûr, les colons peuvent se déplacer sans trop de problème sur des routes modernes- rapides- qui relient les colonies entre elles, routes interdites aux voitures palestiniennes, mais les colonies sont enfermées derrière des murs et barbelés- avec poste de contrôle à l'entrée- et éclairage puissant toute la nuit.

Malgré les violences chaque jour plus fréquentes en Cisjordanie occupée, provoquées par les militaires, mais également les colons, et qui n'hésitent plus à agresser également les militant-es israélien-es et internationaux-les, les Palestinien-es continuent de résister, de manière diverse.

Et leur accueil reste d'une qualité rare : je ne peux que vous conseiller d'aller les rencontrer et de constater par vous-même de la réalité sur le terrain.

Auteur :  Françoise De Turckheim

* Françoise De Turckheim est médecin de profession, et bénévole à la  Cimade à Strasbourg. Elle représente également la Cimade à la  Plateforme des ONG françaises pour la Palestine au niveau national.

Transmis le 17 novembre 2025

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